Les enjeux théologiques et spirituels de la visite du Pape à Marseille selon le Cardinal Aveline

22 septembre 2023

Que représente la venue du Souverain pontife aux Rencontres méditerranéennes, pour Marseille et la France ?

En venant à MARSEILLE, le Pape François poursuit son pèlerinage méditerranéen. En tant que pasteur de l’Église universelle, mais aussi comme Evêque de Rome, le Pape exprime par ces voyages une attention toute particulière aux peuples de la Méditerranée. Ainsi, François ne vient pas à Marseille pour attirer les regards sur lui, mais plutôt pour qu’avec lui, nous regardions la Méditerranée, les défis auxquels elle fait face, les ressources dont elle dispose, et la mission qui incombe aux disciples du Christ dans cette région du monde.
Nous ne savons pas encore ce que dira le Pape à MARSEILLE, mais sa venue en elle-même est déjà un message… Car cette ville multiculturelle et multireligieuse, débordante de potentiel et d’énergie, est aussi aux prises avec de redoutables difficultés… C’est la raison pour laquelle la venue du Pape François est pour les Chrétiens de Marseille et pour tous les Marseillais, toutes confessions confondues, une immense joie et une très grande fierté. Si le Pape a choisi de venir à MARSEILLE, c’est parce qu’il sait qu’à partir de cette ville, il pourra s’adresser à toute la France et, au-delà, aux peuples d’Europe et de Méditerranée. Il vient dans le cadre des Rencontres méditerranéennes, qui rassemblent un grand nombre d’Evêques de différents pays riverains, ainsi que des étudiants et jeunes professionnels provenant de tous ces rivages. Sa venue encourage le travail synodal des pasteurs du pourtour méditerranéen ; elle stimule également l’élaboration d’une réflexion théologique.
Comment la Mare Nostrum, ses identités multiples et ses espaces en crise, peut-elle aujourd’hui porter une espérance de paix et de réconciliation ?
C’est vrai, la Méditerranée apparaît comme un espace fragmenté. Mais cette situation n’est pas une fatalité. Face aux défis que ces crises nous permettent d’identifier, nous pouvons mobiliser de nombreuses ressources. Celle, bien sûr, de la solidarité entre les peuples, pour résister aux oppressions et aux idéologies mortifères. Souvent, la foi chrétienne est un soutien efficace pour cette résistance, comme on l’a vu dans d’autres situations au cours de l’histoire. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, les immenses richesses du patrimoine philosophique, culturel et spirituel, dont la Méditerranée fut le berceau ! Elles ont donné au monde une compréhension spécifique de l’être humain, de sa liberté et de sa capacité à entrer en relation avec les autres et avec Dieu. Le trésor de cette immense sagesse anthropologique, la Méditerranée l’a généreusement offert aux peuples du monde. Mais chacun sait que ce trésor est fragile, surtout lorsqu’on éprouve, comme souvent dans l’histoire et encore aujourd’hui, combien il est difficile de respecter la dignité et la liberté de chaque personne humaine, y compris sa liberté religieuse, et de servir l’unité de tout le genre humain, en s’opposant avec courage à la haine et au mépris… Le Pape François ne cesse d’appeler à la lutte contre l’indifférence et au réveil des consciences. Nous devons y travailler très concrètement, et ce sera l’un des thèmes de nos Rencontres. Ensemble, nous essaierons de donner visage à l’espérance, celle que nous donne la foi en la Résurrection du Christ. Une espérance qui n’est pas naïve, mais bien concrète et attentive ; une espérance qui n’est pas évasion, mais plutôt fidélité et souvent résistance ; une espérance qui n’a pas la froideur d’une idéologie, car elle s’incarne dans les oeuvres de miséricorde et suscite la pratique chaleureuse de la charité.

Comment concevez-vous la puissance spirituelle et la vocation prophétique de la Méditerranée ces prochaines décennies ?

Lors d’un discours prononcé à Bahreïn le 4 novembre 2022, le Pape François avait évoqué la puissance spirituelle et prophétique de la mer : « “Ce que la terre divise, la mer l’unit”, dit un vieil adage. Et notre planète Terre, quand on la regarde d’en haut, ressemble à une vaste mer bleue qui relie différents rivages. Cela nous rappelle, depuis le ciel, que nous sommes une seule famille : non pas des îles, mais un seul grand archipel. C’est ainsi que le Très-Haut nous veut. […] Pourtant, nous vivons une époque où l’humanité, connectée comme jamais elle ne l’a
été auparavant, est beaucoup plus divisée qu’unie » …
Ce que la Méditerranée représente par sa géographie, il revient aux peuples qui vivent sur ses rivages de le mettre en œuvre à travers les relations qu’ils tissent entre eux, malgré les soubresauts de l’histoire, comme une grande « mosaïque d’espérance ». Cela commence souvent par de simples relations commerciales. Puis, l’estime réciproque grandissant avec ces échanges, on en vient à s’intéresser à la culture de l’autre, et même à sa religion. Ainsi naît la grande aventure de ce que les chrétiens appellent « dialogue », un mot très dense puisqu’il désigne, plus fondamentalement, le geste par lequel Dieu a choisi de se révéler, engageant avec l’humanité un dialogue de salut, que la Bible raconte sous la forme d’une longue histoire d’alliance. Les rives de la Méditerranée ont été le théâtre de cette révélation faite à Abraham et de la promesse confiée à sa descendance, nombreuse et variée. C’est la raison pour laquelle les enfants d’Abraham ont aujourd’hui, plus que d’autres, la responsabilité de faire advenir la paix dans le monde en pratiquant avec persévérance la vertu du dialogue.
Or « le climat du dialogue, c’est l’amitié ; bien mieux, c’est le service », écrivait Paul VI dans sa première encyclique, Ecclesiam suam (n° 90). Cela l’Église de Marseille le sait tout particulièrement. En effet, une vénérable et antique tradition fait de ceux que l’Évangile désigne comme « les amis » de Jésus, en particulier Lazare et Marie-Madeleine, les fondateurs de la première communauté chrétienne de notre cité. Chaque matin du 2 février, sur les quais du Vieux-Port, les chrétiens de Marseille commémorent cette arrivée de l’Évangile par la mer, afin de se souvenir que la foi, qui est don de Dieu, se reçoit aussi d’un frère, souvent venu d’ailleurs, parfois sur de frêles embarcations.
L’amitié, celle que Jésus partagea avec ses hôtes à Béthanie, est le meilleur vecteur de l’annonce de l’Évangile, parce qu’elle ouvre au dialogue et à la fraternité. La fraternité : voilà ce que l’Église qui est à Marseille aimerait offrir à tous ceux qu’elle accueillera, de France et d’ailleurs, à l’occasion des Rencontres Méditerranéennes et de la venue du pape François. Avec lui, elle se souvient de saint Charles de Foucauld, qui souvent embarqua à Marseille et traversa la Méditerranée, en quête de sa propre vocation. Peu de temps après être arrivé à Béni-Abbès, Foucauld écrivait : « Je veux habituer tous les habitants :
chrétiens, musulmans, juifs et idolâtres, à me regarder comme leur frère universel. Ils commencent à appeler la maison “la fraternité” et cela m’est doux. » Alors l’Église de Marseille se prend à rêver qu’un jour, la Méditerranée puisse être
appelée : « mer de la fraternité » ! Elle sait que le chemin sera long, mais plus encore qu’un rêve, c’est son espérance.